Des dunes visibles depuis le ciel de Pluton
Cela fait bientôt 3 ans que la sonde américaine New Horizons a survolé la planète naine Pluton, le 14 juillet 2015 à 11 000 km de distance. Les images qu’elle nous a envoyées ont révélé aux chercheurs une surface complexe, plus variée et plus dynamique que prévue. Ce qui est étonnant, puisque son atmosphère a été mesurée à 1/100 000 de la pression atmosphérique de la Terre, trop peu a priori pour que les vents aient un effet sur la surface. « Dans ces conditions de très basse pression, on a du mal à imaginer comment ces grains peuvent être soulevés, explique François Forget. Il faut un gaz dense pour que des particules soient mises en suspension dans l’atmosphère ». Alors d’où provient tout ce gaz, et comment forme-t-il des vents capables de dessiner ces dunes ?

Légende : Les dunes ont été observées par la sonde New Horizons dans la pleine Sputnik Planitia, aux pieds des monts al-Idrisi.
D’abord, leur formation semble relativement jeune : probablement dans les 500 000 dernières années d’après l’absence d’impacts sur la zone où elles ont été observées. Elles ont été observées aux pieds des monts al-Idrisi (5 km d’altitude). À cet endroit s’étend la plaine Sputnik Planitia, composée de glace faite de molécules que dans nos conditions terrestres, nous connaissons plutôt sous la forme de gaz. Pourtant à -230°C, c’est bien de la glace de diazote N2, de monoxyde de carbone CO, et de méthane CH4 qui recouvre Pluton. La composition de ces dunes est un peu différente : « Nous avons pu analyser les dunes par spectroscopie, et elles contiennent surtout du méthane, explique François Forget. Il y a apparemment peu d’azote, parce qu’il est plus volatil : il devient facilement gazeux et laisse derrière lui le méthane solide sous forme de grains, d’environ 200 à 300 micromètres. Ce sont donc des dunes de méthane sur un glacier d’azote. »
D’où viennent les vents sur Pluton ?
Mais pour expliquer comment le méthane peut donner ces dunes, il faut tenir compte de plusieurs particularités de Pluton. Vraisemblablement, il s’agit d’une combinaison entre sa faible pesanteur (15 fois plus faible que celle de la Terre) et les très basse températures (l’air froid est plus dense) : même si le vent est nettement moins puissant, il faut également moins de force pour transporter les grains de glace qu’il n’en faudrait pour du sable sur Terre. Les auteurs estiment qu’il faudrait une vitesse modérée, de moins de 10 mètres par seconde (36 km/h). Pour cela, le fait que les dunes soient situées aux pieds des monts al-Idrisi n’est pas anodin : à cet endroit, l’atmosphère retombant par la gravité descend les pentes et accélère en créant des vents horizontaux qui expliqueraient l’apparition de ces dunes.
Ces vents sont cependant très insuffisants pour décoller les particules au sol et les injecter dans l’atmosphère. Pour cela, un autre mécanisme plus exotique devrait être à l’oeuvre : sous une pression atmosphérique aussi faible, une molécule solide peut s’évaporer en gaz sans même passer par l’état liquide. C’est la sublimation, et c’est ce que subit la glace d’azote lorsqu’elle est réchauffée suffisamment par la lumière du Soleil. En réchauffant la plaine, l’azote qui la constitue se sublime, emportant ainsi avec lui les grains de méthane encore solides. Une forme d’érosion qui faciliterait nettement la dispersion de la glace par les vents de Pluton. « Puisque la gravité est beaucoup plus faible que sur Terre, cela suffit ensuite à maintenir le méthane en suspension. Nous pensons que c’est cette injection qui permet de le mettre dans l’air. C’est à la fois très exotique et très amusant » s’enthousiasme François Forget.

Légende : Comparaison entre les dunes découvertes sur Pluton, et celles connues sur la Terre. Sur Mars, l’interaction entre les vents et le phénomène de sublimation est également observée au niveau des pôles, avec la glace de dioxyde de carbone.
Pour mieux déterminer l’origine des dunes, les chercheurs se sont ensuite intéressés à leur orientation pour vérifier de quel type de vent il pouvait s’agir. Sur Terre, il arrive parfois que des dunes se forment dans la direction du vent correspondent à deux vents dominants, dont l’alternance crée la dune. En revanche avec des vents moins forts ou une atmosphère plus ténue, ce sont des dunes transverses, perpendiculaires à la direction du vent qui se forment : leurs bifurcations peu définies et leur façon de s’éroder face au vent est caractéristique. Elles ont ainsi pu être observées sur Vénus et Mars, ou même sur Triton le satellite de Neptune. Et c’est bien à ce genre de dunes que correspondent celles de Pluton. « On aurait pu imaginer qu’elles soient uniquement la conséquences de la condensation et de la sublimation de la glace, conclut François Forget. Mais dans ce cas leur direction dépendrait seulement du Soleil, leur alignement serait le même partout. Et dans les faits, leur orientation change légèrement selon l’endroit. C’est le signe qu’il y a bel et bien du vent sur Pluton, et même qu’il tourne un petit peu. C’est tout cela que nous avons réussi à démontrer grâce à New Horizons. »
Publication
Telfer et al., Science 01 Jun 2018: Vol. 360, Issue 6392, pp. 992-997
DOI: 10.1126/science.aao2975
Contact
François Forget, directeur de recherche CNRS
Laboratoire de Météorologie Dynamique, Institut Pierre Simon Laplace
Tel : +33 1 44 27 47 63 / +33 6 71 20 07 50
Courriel : forget at lmd.jussieu.fr
Francis Rocard, Responsable du programme Système Solaire
Courriel : francis.rocard at cnes.fr
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